Monsieur le président, chers collègues,
Notre assemblée régionale examine le projet de Schéma national d’infrastructures de transports.
C’est un sujet marronnier du bac qui nous est ici posé, avec ses incontournables :
– tout le monde possède l’énoncé avant la date de l’examen ;
– les bachoteurs comme les potaches sont tentés de copier la réponse type ;
– certains vont aller aux toilettes, pour copier sur Internet, et se précipiter sur la page qui arrive en tête sur le site du moteur de recherche, mais qui commence à dater.
La problématique est simple : « Quels modes de transports et quels itinéraires convient-il de privilégier pour permettre les relations entre les différentes régions de la France et le reste de l’Europe, tout en respectant les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? ».
En gros la question est ; « Comment concilier mobilité et équilibres climatiques ? ». En cette année 2011 où la France bat des records de température comme Christophe Lemaître bat ceux du 100 mètres, la réponse mérite un temps de réflexion et de coordination des acteurs publics.
Pour le temps de la réflexion, rappelons que le projet de schéma est dans les tuyaux depuis octobre 2007 et la synthèse des tables rondes du Grenelle de l’environnement. Il a quand même fallu attendre juillet 2010 pour que l’État publie un « avant-projet », puis janvier 2011 pour que soit proposé un « avant-projet consolidé » soumis à concertation.
À ce train là, plus proche du Mastrou que d’un TGV, le schéma définitif paraîtra vers la fin de l’année. A moins que l’ébullition préélectorale et la volonté de ne pas faire de vagues provoquent un nouveau report. Notre groupe ne peut que s’étonner de cette lenteur tant on connaît la célérité du Gouvernement UMP sur d’autres pans de l’action publique. Il est sans doute plus simple de donner des cadeaux fiscaux que de définir une bonne politique en matière de transports, respectueuse de notre planète.
Il n’y a pas de schéma d’ensemble. L’État UMP répond par un inventaire à la Prévert.
Le SNIT est surtout sans vrais moyens financiers nécessaires en face. C’est notamment la suite du refus de toute politique financière facilitant le financement d’infrastructures de transport respectueuses des équilibres de notre planète. C’est notamment le cas du report de l’éco-redevance poids lourds, promesse non tenue du Grenelle de l’Environnement.
L’État s’est privé d’un autre financement intéressant en bradant les bijoux de famille aux majors du BTP, c’est à dire les autoroutes.
L’État UDC sort son SNIT après avoir amené le fret ferroviaire au bord de l’agonie, à grand coup de purges soi-disant salvatrices pour les activités de la SNCF.
Il faut être bien optimiste pour saluer tout de même l’intention générale de produire un schéma, donc de se projeter un tant soit peu dans l’avenir des transports et de la mobilité. Notre groupe choisit l’optimisme quant à l’existence du schéma, bravo, mais voit bien peu de raisons de se réjouir quant à son contenu.
Pour le contenu du SNIT, l’avis qui nous est proposé fait un assez bon constat sur la plupart des insuffisances de ce document. Nous émettrons tout de même trois critiques quant à ce schéma-inventaire, ou « catalogue Manufrance », comme l’a qualifié la vice-présidente Bernadette Laclais lors de la commission Transports du 31 mars dernier :
– La première critique est dans l’avis qui nous est soumis : le SNIT ne s’appuie pas sur une analyse des besoins, mais sur une approche par l’offre, qui empile les projets d’infrastructures jugés conformes à certains critères. C’est à l’inverse de notre SRST.
– La deuxième critique est partagée par la plupart des avis déjà publiés, comme ceux du Comité national du développement durable et du Grenelle de l’Environnement, ou celui du Commissariat général au développement durable, et ceux de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nous avons affaire à une liste de projets non hiérarchisés, non financés, avec plusieurs projets dont la rentabilité socio-économique et environnementale est plus que douteuse. Ainsi, le Schéma National des Infrastructures de Transports envisage 75 milliards d’euros de Lignes à Grande Vitesse nouvelles d’ici 2020. Pour nous un sérieux tri est nécessaire parmi tous ces projets, sans même parler de l’incapacité matérielle évidente à faire aboutir de tels projets en moins de 10 ans. Mais on sait que l’Etat UMP rêve aussi de tuer les enquêtes publiques, et préfère les effets d’annonce au travail de fond pour assurer la transition écologique de la société.
– La troisième critique est pour nous la plus préoccupante : le document est trop discret sur la vérité de la programmation routière. Entre les projets non listés car considérés comme d’intérêt local et ceux considérés comme des coups partis (comme l’A45, qui bénéficie hélas d’une DUP depuis 2008), ce sont des sommes considérables qui seraient consacrées à la route dans les prochaines années, et qui ne figurent pas dans la ventilation des crédits.
Le SNIT est très critiquable, en ce qu’il ne répond pas à l’impératif de répondre aux capacités de notre planète. La programmation des infrastructures de transport, ce n’est pas « fromage et dessert ». La programmation des infrastructures de transport, c’est la déclinaison d’un choix stratégique, entre les investissements qui permettent le report modal vers les alternatives à la route et ceux qui relèvent de la fuite en avant dans le tout routier que l’on connaît aujourd’hui.
Je reviens donc sur l’avis du CESER, qui a été émis en guise d’introduction au débat. Cet avis est pour nous totalement hors sujet.
L’avis du CESER repose sur un postulat en forme de petit aplanissement intellectuel. Il annonce qu’en 2030, les véhicules circulant sur le réseau routier émettront beaucoup moins de CO2, grâce à un saut technologique. Sur le site du CESER, on nous explique même que bientôt « les véhicules n’émettront plus de CO2 ».
À partir de ce jeu d’écriture en forme de pari, peut-être en imaginant un parc de véhicules 100% électriques alimenté par une flopée de nouveaux réacteurs nucléaires, le CESER se déclare « très attaché à la préoccupation exprimée dans la loi de programmation du Grenelle de l’environnement en faveur de « l’équité territoriale et du désenclavement ». Cet attachement se manifeste par une demande de construction dans les plus brefs délais des infrastructures suivantes :
– raccordement de l’A89 à l’A6,
– mise au gabarit autoroutier de la RN 88 au sud du Puy,
– la RN 102 Le Teil-Aubenas,
– liaison autoroutière Grenoble – Sisteron.
Au sujet de la RN 88, notre collègue de l’UMP, Françoise Grossetête, s’est montrée hier très attachée à ce projet. Pourtant je suis bien persuadé que depuis le temps qu’elle travaille sur les directives « Auto Oil » au Parlement européen, elle sait que les véhicules émettent encore des polluants locaux et du CO2, voire plus de CO2, avec l’augmentation du poids moyen des véhicules et la généralisation de la climatisation… Madame Grossetête, dans le cadre du débat sur le réseau transeuropéen de transport, travaillez-vous avec l’hypothèse de véhicules routiers n’émettant plus de CO2 ? Pouvez-vous informer le CESER à ce sujet ?
Sur sa lancée, le CESER se déclare tout autant attaché à « la préoccupation exprimée dans le Grenelle de l’environnement de résoudre les problèmes de congestion routière, ferroviaire et fluviale ». Cet attachement se décline par les projets suivants :
– contournement autoroutier de Lyon par l’Ouest (alors que le SNIT lui-même n’en programme que 25km auxquels le Conseil général du Rhône vient même de retirer son soutien) ;
– bouclage du périphérique avec le tronçon Ouest (TOP), alors que chacun sait que cela ne fera que générer encore et encore de la circulation automobile ;
– « d’autres contournements autoroutiers », qui sont pour le CESER, je cite « essentiels pour assurer la fluidité des trafics dans les traversées d’agglomérations de Saint-Étienne, Chambéry, Valence, ou surtout Grenoble, où manque singulièrement un tunnel Est-ouest sous la Chartreuse ». Le CESER semble ne pas connaître le rapport de la commission d’enquête de mars 2010, qui a pourtant conclu sans appel à la parfaite inutilité de cet ouvrage, qui coûterait la paille de 800 millions d’€, soit l’équivalent de 30 km de tramway ! La DDE reconnaît elle-même que s’il était construit, il serait saturé dès son ouverture.
– un barreau A48 Ambérieu – Bourgoin, « qui permet aussi une continuité d’itinéraire » ; la « continuité d’itinéraire » ; voilà un critère précis pour juger de la pertinence des projets routiers ! Nous qui pensions que tous les chemins menaient déjà vers Rome…
– plus au Sud, le CESER propose une « combinaison de solutions tous modes pour prévenir la thrombose sur l’axe A7-A9 ». A quoi pense-t-il ? La réponse vient juste derrière : « Bien sûr, la problématique d’augmentation des capacités routières et autoroutières ne pourra pas être exclue ».
– pour finir, le CESER rappelle l’urgence de la construction de l’A45.
À lire cet avis, on est un peu déçus. Tant qu’à gommer tous les enjeux environnementaux, on attendait encore une bonne cinquantaine d’autres projets autoroutiers ! Et pourquoi pas une nouvelle autoroute à travers Lyon ? À lire le CESER, on croirait le projet de SNIT rédigé par Europe Ecologie – Les Verts. Il n’en n’est pourtant rien, je m’en rends compte chaque fois que j’y reviens.
Notre Schéma national des infrastructures de transports aurait énoncé avec force la priorité suivante : report massif du fret sur le ferroviaire, en adaptant les infrastructures existantes, notamment pour les riverains.
Savez-vous qu’actuellement, l’autoroute ferroviaire Bettenbourg – Figueras (Luxembourg – Espagne) en est à plus de 4 allers-retours journaliers ? Autant de camions en moins sur l’A7 ! Une nouvelle liaison va même démarrer entre la Suède et l’Espagne. Mes chers collègues nous serons aux premières loges pour admirer ce renouveau, puisque les trains passeront sur la darse nautique, à quelques mètres de notre hémicycle, en attendant la construction du CFAL … Rappelons que le développement de cette autoroute ferroviaire est gêné non par le manque de demande des transporteurs, mais simplement par le retard de fabrication des wagons.
Les autres solutions sont simples : arrêter de créer de nouvelles infrastructures routières et autoroutières, pour se lancer dans une sérieuse remise à niveau de notre réseau ferré. Si l’on doit répondre aux futurs besoins de mobilité, ce doit être sur les voies ferrés, les canaux, les voies vertes, pas sur les routes où avant de ne plus émettre de CO2, les véhicules auront massivement contribué au réchauffement climatique, et massivement contribué à l’appauvrissement de nos concitoyens qui dépendent de la voiture pour leur mobilité quotidienne. Le réseau routier existant doit bien entendu jouer son rôle, mais avant tout en accueillant de nouveaux usages : transports collectifs, covoiturage, autopartage…
Ces nouveaux modes de développement permettront un épanouissement de notre région et de ses habitants. Ils contribueront à stopper le déménagement des activités au seul bénéfice des chantres de la mondialisation qui ne se soucient pas de garder notre planète en bon état.
Pour finir, nous voudrions nous féliciter du travail de la majorité sur cet avis. Les quatre groupes présentent deux amendements communs, que nous partageons entièrement. Un troisième amendement est défendu par le Front de Gauche et notre groupe. Nous espérons qu’au vu des enjeux, il obtiendra une majorité.
Monsieur le président, mes chers collègues, merci de votre attention.
Olivier Longeon, Conseiller régional Europe Ecologie Les Verts
// Intervention au Conseil régional // 1er juillet 2011 //